Definition comorbidite comorbidity

Un constat

Il n’est pas rare de constater qu’une personne malade chronique souffre d’autres problèmes de santé. Cela peut être d’autres symptômes comme une douleur ou une fatigue chronique ou d’autres maladies comme par exemple une hypertension, une maladie cardiaque, une maladie vasculaire, un diabète, un cancer, une ostéoporose, une dépression, une anxiété chronique ou une maladie neuro-dégénérative.

Une étude récente sur une population représentative montre que 42,2% des personnes malades chroniques souffrent d’une autre maladie chronique (Barnett et al., 2012). 23,2% doivent faire face à plus de deux pathologies supplémentaires.

42% des personnes malades chroniques soufrent d’une autre maladie.

Un cumul de peine

Une maladie chronique ne s’arrête pas à ses manifestations symptomatiques, à un mécanisme physiopathologique isolé malgré ce qu’en pensent certains spécialistes d’un organe.

Une maladie qui se surajoute peut s’avérer encore plus handicapante que la première devenue chronique et causer le décès du patient. Par exemple, seul un tiers des patients souffrant d’une maladie mortelle comme la BPCO meurent effectivement de BPCO (Domingo-Salvany et al., 2002).

En tout cas, les maladies se combinent de manière non pas additionnelle mais exponentielle pour dégrader l’état de santé d’un patient, pour provoquer plus de situations de handicap, pour plus altérer plus la qualité de vie et pour engendrer plus de dommages collatéraux dans les familles. Les consultations sont plus fréquentes, les examens sont plus nombreux, les traitements sont plus complexes, les soins sont plus compliqués, les avis sont moins unanimes sur les choses à faire et ne pas faire et le reste à charge sur le plan financier est plus important. Le futur est plus incertain.

Définition

« Une comorbidité correspond à la présence d’une ou plusieurs maladies en plus d’une première maladie chronique » (Bousquet et al., 2014).

Une maladie chronique: le terreau idéal pour la multiplication des comorbidités

Dans la durée, une maladie devenue chronique constitue un terrain fertile pour le développement de comorbidités. En cause :
– les séquelles résiduelles de la maladie chronique originelle,
– les complications durant les soins de la maladie chronique originelle,
– le non respect des prescriptions médicales (observance),
– les effets secondaires des traitements,
– le cercle vicieux du déconditionnement,
– un manque de ressource pour gérer les situations stressantes,
– les carences alimentaires,
– les conduites à risque,
– le faible soutien des proches.

Ces déterminants se combinent, s’intriquent, s’influencent, se potentialisent. Ils fragilisent encore plus le patient dans sa vie quotidienne. Pour les professionnels, la situation devient plus complexe pour proposer une démarche de soin optimale. Elle exige du temps de réflexion, la plupart du temps à plusieurs. L’évolution de l’état de santé du patient est moins prévisible (Frey et Suki, 2008). Le pronostic est moins assuré.

Facteurs aggravants

Comme si cela ne suffisait pas, deux facteurs viennent noircir le tableau. Ils jouent un rôle d’accélérateur du risque de comorbidité, l’avancée en âge d’une part et la précarité sociale d’autre part.

Après 50 ans, 50% des personnes malades chroniques souffrent d’au moins une autre maladie. Après 65 ans, ce chiffre s’élève à 80%. Après 65 ans, 62% des américains souffrent d’au moins deux maladies chroniques (Vogeli et al., 2007). Les effets du vieillissement sont à l’œuvre et potentialise l’arrivée d’autres troubles de santé.

Les personnes sans ressources financières suffisantes, isolées et/ou de faible niveau socio-culturel  sont plus vulnérables aux comorbidités. Dans le cancer par exemple, elles bénéficient moins des prises en charge et des accompagnements proposés (Corroller-Soriano et al., 2008). Elles se soignent moins, moins bien. Elles consultent moins. Elles ont plus de mal à répondre aux demandes administratives.

Ces deux facteurs favorisent l’augmentation du nombre de comorbidités et aggravent la maladie chronique originelle.

L’âge et la précarité sociale aggravent une maladie chronique et favorisent les comorbidités.

 Plus complexe et donc plus coûteux à traiter

Un patient malade chronique consulte son médecin 4 fois par an en moyenne. S’il en a 5 ou plus, le nombre s’élève à 14 fois par an en moyenne (Vogeli et al., 2007).

Plus de comorbidités implique des conséquences plus graves sur la santé et des interventions médicamenteuses et non médicamenteuses plus complexes à mettre en œuvre, à ajuster et à coordonner (Bousquet et al., 2014). Le coûts des prises en charge explosent (Vogeli et al., 2007), le reste à charge pour les patients aussi.

La démarche de soin des patients comorbides s’avère d’autant plus complexe que notre système de santé est essentiellement organisé pour traiter une maladie à la fois (Bousquet et al., 2014), et plutôt dans des situations d’urgence (crise aigu, exacerbation, infection, accidentologie…).

Mécanismes en jeu

Sur le plan biologique, les chercheurs constatent de nombreux dérèglements métaboliques, cardiovasculaires, inflammatoires, osseux, musculaires, cérébraux chez des patients présentant plusieurs pathologies.

Sur le plan psychologique, des phénomènes notamment anxieux et dépressifs fragilisent encore plus les patients (De Ridder et al., 2008). Des désordres cognitifs (attention, mémoire, analyse) sont aussi à l’œuvre. Des croyances erronées persistent.

Sur le plan social, des conséquences dommageables surviennent également: perte d’emploi, séparation conjugale, incompréhension familiale, réserves financières insuffisantes pour couvrir les coûts des traitements et des soins de plus en plus onéreux, dispersion du tissu amical.

Sur le plan environnemental, la pollution, les allergènes, les pesticides et autres agents toxiques affectent plus facilement les personnes fragilisées par plusieurs maladies chroniques.

Une notion plus complexe qu’il n’y paraît

Selon Valderas et al. (2009), la notion de comorbidité ne doit pas s’arrêter à compter le nombre de maladies au sens strict qui coexistent avec une maladie chronique chez un patient. Des auteurs incluent aussi des troubles (disorder en anglais), des complications (conditions en anglais), des problèmes de santé  (healths problems conditions). Ces conséquences ne sont pas strictement en lien avec la maladie initiale, mais il peut s’avérer difficile de les comptabiliser ou non comme une comorbidité. La fatigue chronique, le stress chronique, la douleur chronique, des situations de handicap majeur en sont des exemples. Ils sont comptés dans des études et le ne sont pas dans d’autres qui les considèrent comme des symptômes et non des pathologies. D’autre part, les auteurs invitent à faire attention à la chronologie des pathologies associées (Valderas et al., 2009). Elles peuvent émerger de manière synchrone ou décalée dans le temps. Des maladies chroniques à évolution lente comme des démences ou un diabète peuvent avoir débuté plus tôt que le diagnostic ne le laisse entendre. Ce n’est donc pas aussi simple.

Les comorbidités sont donc plus difficiles à évaluer qu’il n’y paraît selon que l’on prend en compte strictement le nombre de maladies reconnues par des classifications officielles, leurs lien théorique avec la maladie initiale ou les conséquences biopsychosociales qu’elles engendrent. Il n’existe pas de consensus sur l’outil à utiliser pour les comptabiliser (Charlson Index, Cumulative Illness Rating Scale, Index of Coexisting Disease, Kaplan Index, Adjusted Clinical Groups, Diagnosis-Related Groups, Healthcare Resource Groups).


Le message pour les patients

Vivre avec une maladie chronique n’est pas facile. Mais alors avec plusieurs, la vie peut devenir un enfer. Heureusement, il existe des solutions thérapeutiques et préventives pour éviter l’installation de ces comorbidités, encore faut-il consulter des professionnels capables d’avoir suffisamment de recul et de vision globale pour planifier et coordonner correctement ces actions.

Le message pour les professionnels de santé

Ce qui guette une personne malade chronique, c’est l’apparition d’autres maladies appelées les comorbidités. Son parcours de santé va devenir un parcours du combattant. Y être attentif à chaque rencontre avec un patient est déterminant pour choisir les actions thérapeutiques et préventives véritablement utiles et les suivre dans le temps. Comprendre la maladie est une condition nécessaire mais pas suffisante. Une compréhension globale de la personne est impérative car des comorbidités «rodent» autour du malade (Préfaut et Ninot, 2009).

Le message pour les chercheurs

La science et la technologie sectorisent les soins. Ce raisonnement analytique conduit à des analyses de plus en plus poussées, de plus en plus microscopiques. Il conduit à des prouesses spectaculaires (le cœur artificiel par exemple) et des guérisons extraordinaires dans certaines maladies (des maladies génétiques par exemple). Mais, pour la plupart des maladies et notamment les maladies chroniques, cette démarche et cette vision amènent à ne voir qu’une petite partie des multiples problèmes auxquels un patient doit faire au quotidien. Si beaucoup d’essais cliniques testent une solution préventive ou thérapeutique sur des patients présentant une maladie chronique « pure », il serait utile que les chercheurs mentionnent le nombre de pathologies associées, autrement dit le nombre de comorbidités.

Le message pour les décideurs

Par soucis de simplification et de compréhension des situations humaines complexes, nous faisons tous l’erreur de penser qu’un malade chronique ne souffre que d’une pathologie expliquée par un dysfonctionnement biologique. Nous éludons les autres difficultés et autres comorbidités. Ce raisonnement réducteur est encouragé par une médecine devenant chaque jour plus pointue sur le plan scientifique et plus technologique (Sicard, 2002). Il conduit à ne voir qu’une partie du problème. Les comorbidités sont là pour rappeler à quel point un malade ne peut se résumer à sa maladie. Le soin de cette personne va nécessiter une approche globale, concertée et planifiée. Il sera le fruit d’un travail multidisciplinaire avec le patient et non pas contre la maladie. C’est la seule manière d’éviter l’explosion des dépenses de santé dues à la recrudescence de malades chroniques devenant comorbides (Organisation Mondiale de la Santé, 2006).


Références

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