Définition
Venu de Californie et de ses universités, le transhumanisme est un courant de pensée qui se base sur les progrès de l’informatique, des biotechnologies, des nanotechnologies et des neurosciences pour imaginer un autre futur à l’homme et son espèce, un homme devenu hybride avec la machine dont la vie serait rallongée et les capacités décuplées.
Un futur humanoïde
Le transhumanisme aspire par tous les moyens biotechnologiques à faire devenir l’homme plus intelligent, plus mobile, plus rapide, plus beau, plus résistant. Sa marque de ralliement est Humanity + ou H+. Ce courant de pensée ambitionne en quelques dizaines d’années de faire vivre l’homme jusqu’à 150 ans, voire de le rendre immortel. Il compte le protéger des agents pathogènes, le guérir de toutes les maladies et le protéger des effets du vieillissement à grand renfort de systèmes biocompatibles.
Une future espèce
Plus inquiétant encore, le transhumanisme souhaite préparer la transition vers des post-humains (Hayles, 1999), des organismes cybernétiques génétiquement modifiés qui succéderaient à notre espèce.
Un chef de file no limit
Le scientifique, universitaire et entrepreneur américain Raymond Kurzweil (2007) prévoit que dès 2029 l’intelligence artificielle égalera celle de l’espèce humaine toute entière. Dès 2045, il prédit une fusion de l’Homme avec une intelligence artificielle, ce qui lui permettra d’augmenter son intelligence un milliard de fois. Un destin de cyborg immortel est pour lui un aboutissement. Dark Vador n’est plus bien loin.
Ce n’est plus de la science fiction
Qui ne possède pas d’application santé sur son téléphone portable? Qui n’a jamais fait d’analyses sanguines poussées? Qui n’a pas stocké ses données de santé sur une puce électronique? Qui ne dispose d’aucune radiographie de son corps? Qui n’a jamais laissé une trace numérique sur un réseau social capable de regrouper des informations individuelles? Qui ne s’est jamais intéressé à mesurer son activité physique avec un objet connecté? Qui n’a jamais fait une recherche sur Internet sur un produit de santé? Qui ne possède pas de photo numérique de lui? Qui n’a pas jamais consulté un médecin entrant vos résultats d’examen sur un ordinateur? Volontairement ou non, directement ou indirectement, nous accumulons des données personnelles dans le bigdata qui une fois regroupées, filtrées, triés disent beaucoup sur notre santé, sur nos préférences et sur nos comportements. Ces milliards de données vont nourrir de futurs algorithmes capables de calculer les chances de guérison, les meilleures options thérapeutiques (ratio bénéfice / risques) et même les plus rentables (rapport coût / efficacité). La révolution numérique rend possible ce qui n’était que de la science fiction il y a 10 ans.
L’histoire ne s’arrête pas là. Il n’y a pas que l’informatique et l’algorithmie qui ont progressé si vite. La biologie et la technologie aussi (De Rosnay et Papillon, 2010). D’ici quelques décennies, nous connaîtrons notre génome et pourrons envisager des solutions thérapeutiques et éviter des maladies à notre descendance par modification transgénique. L’implantation de cellules souches renouvellera nos cellules abimées. Des autogreffes de nos propres cellules cultivées en laboratoire remplaceront nos tissus défaillants. Des nanotechnologies libèreront directement les molécules sur les bonnes cibles. Les chirurgiens seront des robots. Les systèmes d’irradiation seront d’une précision absolue. Des micromachines fabriquées par une imprimante 3D utilisant des matériaux biocompatibles remplaceront des organes. Des systèmes embarqués d’intelligence artificielle nous aideront à penser plus vite, à réagir plus tôt, à éviter des accidents. Les prothèses seront commandées par notre cerveau. Des systèmes surveillant nos faits et gestes nous préviendront en cas de danger. Les dépistages des maladies seront généralisés à des stades si précoces qu’elles pourront être guéries avant l’apparition du moindre signe. Notre médecin pourra demander de l’aide à des spécialistes et des supercalculateurs vivant à l’autre bout d’un monde devenu village. Des aménagements de nos lieux de vie et de nos véhicules nous protègerons des agents toxiques et pathogènes. Des robots feront à notre place les gestes les plus risqués.
Toutes ces biotechnologies appliquées à la santé arrivent, et bien d’autres encore. Le futur de la santé, c’est aujourd’hui. Tout devient possible. Serons-nous moins humains? Serons-nous toujours les mêmes humains?
L’éthique n’arrête pas le progrès
Les comités d’éthique veillent à nous protéger des pires dérives. Mais entre dérive et innovation visionnaire, la frontière est difficile à dessiner. Ce qui peut être contre l’éthique à l’échelle d’une génération, est moins évident sur plusieurs. Avec un peu de recul historique (Dachez, 2005), on peut observer que ce qui pouvait être anti-éthique pour une génération est banalisé chez la suivante. Que n’a t’on pas dit sur la transfusion sanguine, la pilule contraceptive, les greffes de visage, la fécondation in vitro, le pacemaker… Que ne dit-on pas aujourd’hui sur l’utilisation des cellules souches, sur les bébés médicaments, sur la stimulation trans-crânienne, sur les dérives eugénistes de la procréation assistée, sur la médecine moléculaire… L’éthique n’arrête pas le progrès, elle l’encadre, elle le régule.
La réglementation non plus
Un pays démocratique peut empêcher des dérives sur la santé par la loi et la réglementation. Mais, ce qui interdit dans un pays ne l’est pas forcément dans un autre. Qui n’a pas entendu parler de greffe de cellule souche dans la moelle épinière de patients paraplégiques en Chine alors que la majorité des nations s’y refusent faute de preuve suffisante chez l’animal et l’humain? Qui n’a pas entendu parler de stockage du cordon ombilical ou de dents de sagesse en Suisse pour que des cellules souches personnelles puissent être utilisées à des fins thérapeutiques un jour? Honnêtement, qui se refuserait à contourner les lois de son pays pour sauver son enfant s’il en avait les moyens? Les frontières n’arrêteront plus les scientifiques de la santé et de l’anti-âge, encore moins les touristes médicaux prêts à tout.
Il faut dire que de nous acteurs arrivent sur le « marché » de la santé. Les firmes informatiques, de télécommunication et agroalimentaires avec d’autres principes de fonctionnement. Ces entreprises cherchent à s’affranchir du modèle médical classique (recherche fondamentale, puis recherche clinique, puis demande d’autorisation de mise sur le marché, puis mise sur le marché, puis surveillance). Pour ces industriels, un prototype est mis au point. Il est testé par quelques usagers puis il est vendu sur le marché. Il est retiré ou modifié en cas de problème pour la santé. Il est optimisé de génération en génération en fonction de la demande et des modes.
L’homme augmenté: homme dépassé?
Nous avons gagné 30 ans d’espérance de vie entre 1950 et 2000, autant qu’en un millénaire pour les 30 précédentes. Pourquoi ne pas continuer à ce rythme exponentiel? Rien ne semble plus impossible selon les transhumanistes. Après la conquête de l’ouest, après l’exploration des grands fonds marins, après la conquête des plus hauts sommets, après les grandes expéditions polaires, après les voyages dans l’espace, après les alunissages, voici venu le temps d’accomplir le rêve le plus fou de l’homme, l’immortalité. Quelques philosophes doivent se retourner dans leur tombe…
Les connaissances acquises dans le traitement des maladies servent désormais sans scrupule à étendre les capacités de l’homme. Un homme nouveau arrive, l’homme augmenté. La compréhension des mécanismes de dégénérescence organique s’applique désormais à l’homme sain pour le régénérer en permanence. Tout peut se biomédicaliser (Clarke et al., 2010). Finalement, pourquoi ne pas faire de la mort une simple maladie à guérir (Laurent, 2011)? Tous les espoirs sont alors permis. C’est l’escalade. Un transhumaniste prévoit que l’homme vivra jusqu’à 150 ans d’ici une cinquante d’années (Laurent, 2011). Un autre table sur 1000 ans (de Grey, 2007).
Les progrès scientifiques et techniques rendent possibles l’espoir d’une vie sans maladie et sans effet délétère du vieillissement. Et si cette quête était vaine? Et si ce n’était rien d’autre qu’un argument marketing?
La santé devenue un argument marketing
Tentons une analogie triviale pour illustrer le propos. Poussés par toute sorte de lobby, des médecins ne se cantonnent plus à leur rôle de «réparateurs», ils deviennent des «préparateurs». Les sportifs professionnels ou amateurs étaient de parfaits cobayes pour tester les produits dopants et optimiser leurs doses. De nouveaux clients (oublions ici le terme de patients) les rejoignent. Ils affluent par milliers. Ceux et celles qui veulent avoir 20 ans à tout jamais. Ceux et celles qui veulent ressembler à un personnage «vu à la télé». Ceux et celles qui veulent passer à la télé. Ceux et celles qui veulent faire plus que la concurrence. Ceux et celles qui veulent donner toutes les chances de réussite sociale à leur progéniture.
La santé et la jeunesse éternelle sont devenus d’excellents arguments marketing pour convaincre des investisseurs d’aller sur ce marché d’avenir et des consommateurs d’acheter des produits santé ou anti-âge. La santé n’a pas de prix. De nouveaux industriels dont ce n’était pas le métier (télécom, informatique, agroalimentaire, automobile, équipementiers) s’y plongent et bouleversent les habitudes. Alors, tous les rayons de supermarchés s’y mettent. Des milliers de produits sont sensées être bénéfiques pour la santé, du yaourt à la montre au poignet et passant par le pèse personne connecté et le vêtement amaigrissant. Internet aussi. Le réseau est devenu en quelques années une immense vitrine de produits santé popularisés par des témoignages vidéos d’utilisateurs satisfaits.
Hélas, bien des innovations vont s’avérer être des gadgets, des produits obsolètes en quelques mois, de la poudre aux yeux, des produits dangereux pour la santé. A moins que la recherche clinique débusque les impostures? Et si possible avant leur mise sur le marché et non après…
Un nouvel élan à la recherche clinique
Si les autorités de santé et les Etats ont suffisamment de courage et de compétences pour imposer aux innovations transhumanistes une recherche clinique indépendante et de qualité, le mouvement n’a pas à être totalement désavoué. Ces recherches cliniques sérieuses sont incontournables pour faire la part des choses entre l’efficace et le non efficace, entre le bénéfique et le risqué, entre l’utile et le futile. Les enjeux industriels vont être énormes. Les pressions diverses aussi.
Quelles limites ?
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. On sort ici de la science pour rentrer dans la métaphysique et la philosophie. A chacun de se faire son idée du transhumanisme.
Une position optimiste mettra l’accent sur le terme «humanisme». Elle applaudira les transhumanistes de faire de la santé le cœur de préoccupation des chercheurs et des ingénieurs plutôt que de les faire plancher sur des innovations tragiques pour l’humanité et la planète comme le développement de nouvelles armes de guerre et de solutions intensives pour l’agriculture.
Une position pessimiste mettra l’accent sur le terme «trans». Devenir un cyborg peut conduire à un individualisme forcené, à la fin des émotions, à la fin des relations humaines, à l’éradication de la reproduction, à un eugénisme brisant les liens d’une société. Au fur et à mesure qu’il devient dépendant de la machine pour fonctionner, il s’affaiblit intrinsèquement. Certains d’entre nous ne peuvent plus vivre sans leur smartphone.
Quelle que soit notre vision, le transhumanisme (re)pose les questions fondamentales de la place de l’humain sur terre et de son rapport à l’environnement dans le futur.
La position du Blog en Santé
Transhumaniste ou pas, les progrès ne s’arrêteront pas pour autant. Tous les pays se sont dotés d’institutions publiques et privées de recherche. Elles communiquent entre elles. Elles captent les innovations et les découvertes mécanistiques des autres à la vitesse de la lumière. Les technologies de mesure, d’analyse et d’intervention raccourcissent les délais de mise sur le marché. Des innovations thérapeutiques et préventives dans les interventions non médicamenteuses vont arriver par milliers. Il faudra savoir faire des choix.
Fidèle à sa charte, le Blog en Santé pense que c’est par la recherche interventionnelle que ces choix doivent se faire. Le citoyen doit savoir si telle ou telle INM est efficacité et sûre. Le Blog continuera de sélectionner et de commenter les études cliniques les plus sérieuses:
– conception du protocole de recherche le moins biaisé possible,
– déclaration du protocole aux autorités officielles,
– évaluation par un comité d’éthique,
– déclaration des liens et des conflits d’intérêt des chercheurs,
– expertise des résultats par un comité indépendant,
– publication dans des revues scientifiques et médicales renommées,
– délivrance de données supplémentaires à la publication,
– droits à répliquer les résultats pour en vérifier la portée.
Le Blog en Santé ne vend rien, ne fait la promotion de rien. Il rapporte juste des résultats d’études interventionnelles humaines permettant de faire la part des choses entre le vrai et le faux, entre l’efficace et le non efficace, entre l’utile et le superficiel. Il encourage la lecture des documents sources.
Le Blog en Santé commente des études menées avec le plus haut standard méthodologique et éthique pour apporter la preuve d’efficacité des innovations dans les interventions non médicamenteuses. Il encourage le lecteur à consulter les documents sources.
Le message général
La vague transhumaniste bouleverse nos idées sur la santé et le vieillissement. Bien des innovations seront des gadgets et des faux espoirs. On peut espérer que les autorités exigent des recherches rigoureuses et indépendantes pour distinguer le vrai du faux.
Le message pour les professionnels de santé
Le transhumanisne enlève les barrières intellectuelles et donne une confiance absolue aux chercheurs et ingénieurs travaillant dans la santé et la lutte contre le vieillissement. Il va amener de multiples innovations. Certaines ne seront que des gadgets et entraîneront de faux espoirs. On peut espérer que les autorités exigent des recherches rigoureuses et indépendantes pour distinguer le vrai du faux.
Le message pour les chercheurs
La vague transhumaniste est un véritable accélérateur d’investissement dans le secteur de la santé et de la lutte contre les effets du vieillissement. Espérons que les autorités gardent suffisamment de recul et d’éthique pour ne pas détruire des êtres humains, notamment les plus vulnérables, et peut être un jour l’espèce humaine. Espérons qu’elles continuent de s’appuyer sur une recherche clinique de qualité.
Le message pour les décideurs
La vague transhumaniste va amener de multiples innovations dans la santé et la lutte contre les effets du vieillissement. Bien des innovations seront que des gadgets et de faux espoirs. Les autorités nationales et internationales vont devoir s’allier pour exiger des recherches cliniques méthodologiquement rigoureuses, éthiquement favorable à l’homme et politiquement indépendantes.